La lettre en wallon de Léonard FRANCK afin que l’ennemi ne puisse pas lire la correspondance du prisonnier.
Fait à Lautawerk, le 5 – 5 – 43.
À ma femme bien-aimée avec mes meilleurs baisers.
De mon pays d’exil, j’écris ces quelques lignes qui vous feront peut-être (quelquefois) bien plaisir.
Venu ici, bien malgré moi, à cause de ces méchants (mauvais), qui sont venus ravager notre petit pays, voilà déjà trois ans, apportant avec eux bien des pleurs, bien des misères.
Ils ont continué à faire souffrir tout un petit peuple qui ne leur avait rien fait, et leur dernière atrocité : la déportation des hommes et même des femmes est une de leurs plus belles œuvres de barbare ; je ne dirai pas de sauvage, parce qu’ils (les sauvages) sont plus civilisés qu’eux.
Ils nous ont amenés ici, dans un pays où il n’y a rien, que du sable, des sapins et des petits oiseaux, qui sont les seuls restés libres dans leur grande forêt. Ah, comme on voudrait être à leur place pour pouvoir voler jour et nuit pour bien vite retrouver sa compagnie bien-aimée, ses bons parents, ma sœur, ma grand-mère, mes petites camarades et mes meilleurs compagnons.
Avec eux tous, on a passé des belles journées, des belles soirées (veillées) à jouer sa petite partie de cartes ou à blaguer.
Ici il ne faut plus penser à tout cela, livré à soi (lui) – même, n’ayant pas toujours à manger assez, on est obligé de faire toutes sortes de commissions (messages) pour trouver un pain à manger.
Heureusement que dans notre petit village, on a laissé une brave femme, des bons parents qui nous comprennent, et nous gâtent avec des bons colis, et pour cela doivent eux-mêmes se priver de bien des affaires, dont ils ont besoin pour soulager leur propre misère, et malgré toutes ces privations, toutes ces peines, tous ces pleurs, nous restons tous de bons Belges, qui sauront attendre avec courage, la tête bien haute, que nos alliés viennent nous délivrer.
Et en attendant, nous souffrons tous, tout le monde a ses peines, ses misères et chacun porte sa croix du mieux qu’il peut pour garder sa conscience bien propre et ainsi n’avoir aucun reproche à se faire, quand cela finira.
Mais quand (cela) finira-t-il, tout le monde pense que c’est la dernière année, que le bon Dieu veuille que ce soit vrai, et que pour l’hiver qui arrive nous nous retrouvions tous ensemble. Prenez tous votre courage à deux mains, cela viendra et comme nous autres, soyez bien courageux et bien braves.
Et pour finir, voici ce que je pense de ce sauvage pays, là où je suis obligé de passer un de mes plus beaux moments de ma vie :
Je suis venu sans te connaître. Je demeure sans t’aimer.. Je te quitterai sans aucun regret . Et maintenant, je vous envoie à tous mes meilleurs baisers.
Bon courage, ma petite femme Votre exilé Léonard.
Votre exilé : Léonard